- Manon Ruffel
Au-delà du trash : les studios BobbyPills
Vous connaissez peut-être BoJack Horseman, Big Mouth ou encore Paradise Police, trois exemples de séries animées américaines pour adultes. Mais connaissez-vous Les Kassos, Vermin, ou encore Peepoodo and the Super Fuck Friends ? Ce sont des séries françaises (cocorico) encore plus déjantées, créées par les studios Bobbyprod / Bobbypills. Beaucoup de WTF, pas mal de blagues bien grasses, et une pincée de larmichette : voici la recette magique de Bobby. Les séries créées par ces studios sont réservées aux « enfants de plus de 18 ans » (c'est eux qui le disent) et n’hésitent pas à balancer la sauce. Diffuser Peepoodo sur grand écran, avec tous ses zizis et ses nichons en gros plan, c’est le pari qu’a décidé de relever l’association des Éléphants Rouges, avec qui le Zola travaille régulièrement, lors de leur première carte blanche dans notre cinéma le 8 octobre prochain. Pour comprendre un peu mieux l’ADN Bobby, on a décidé de gratter un peu la couche de trash et de WTF pour découvrir ce qui se cache en-dessous, en rencontrant Marc Aguesse, chargé de communication chez Bobbypills, et Balak, scénariste, dessinateur, créateur de bandes dessinées et de séries d’animation pour adultes, et directeur artistique chez Bobby.

Racontez-nous un peu la genèse du projet Bobbypills…
Marc : Bobbypills, c’est l’association entre Bobbyprod et Blackpills. Bobbyprod, c’est un autre studio qui existe depuis une dizaine d’année, avec lequel Les Kassos est née. David Alric en est aussi le patron. D’autres séries ont bien marché ensuite. En 2017, Bobbyprod a été approché par Blackpills, qui à l'époque était une plateforme de SVOD pour mobiles à la fois productrice et diffuseuse. Blackpills voulait qu’on deviennent leur studio d’animation exclusif. On a donc créé un deuxième studio, Bobbypills, alliance entre Bobbyprod et Blackpills. Ils nous ont ensuite commandé 3 séries d’animations : Peepoodo, Vermin et Crisis Jung. En 2019, Blackpills a décidé de se consacrer uniquement à la production de fictions et de restreindre leurs activités de diffusion. On s’est retrouvé à produire nos propres séries, et à chercher nous-mêmes nos diffuseurs. Mais on propose des séries trop trash pour les grosses plateformes de SVOD comme Netflix. Parfois notre seule solution c’est le crowdfunding, comme c’est le cas pour Peepoodo.
Sur votre site, il est écrit que vous êtes un studio « pleins de personnes dépressives, belles et tarées, qui créent des cartoons pour des personnes dépressives, belles et tarées » : pouvez-vous m’en dire plus sur cette phrase, qu’est-ce qu’elle vous évoque ?
Balak : C’est vrai, ce studio est composé de personnes qui ne devraient pas s’exprimer (rires) ! On définit souvent notre identité comme « trash » car c’est vrai que ce qu’on aime faire est défini comme tel, mais la vérité c’est que beaucoup d’entre nous viennent de l’animation pour enfants. On a longtemps été obligés via l'animation pour enfants de se restreindre dans les sujets abordés et dans la façon de les traiter, et Bobbypills c’est devenu notre façon d’exorciser tout ça. Quand on s’est rendu compte qu’en fait, l’animation ce n’était pas forcément que pour les enfants, et qu’on pouvait s’exprimer de façon plus cash, c’était fou ! L’animation adulte, pour grand public, ça n’existait pas à l’époque où on est sortis de l’école d’animation. Maintenant, c’est un pan de l’animation qui s’offre aux personnes qui sortent d’études, et c’est génial. On peut à la fois faire des blagues de cul, et faire passer de l’émotion, là où l’animation pour enfant reste souvent un peu plate. On a essayé de ramener des choses basiques mais qui manquent dans le paysage de l’animation, comme le rire, et l’émotion.
Marc : Ce qui a été formidable, c’est que Blackpills nous a finalement incité à être très rock’n’roll, plus qu’un autre diffuseur. On n’aurait pas pu faire ça avec d’autres. Donc on y est allé à fond.
Balak : Oui c’est vrai ! Ce sont des séries qui n’auraient pas dû exister, parce qu’elles sont juste « trop ».
Comment se fait le choix des artistes avec qui vous travaillez ? C'est un Système d’artistes résidents ou plutôt des invités ?
Balak : C’est un peu des deux en fait. Il y a un noyau dur d’artistes qui est là depuis le tout début. C’est l’équipe de Monsieur Flap, Les Kassos. En même temps, c’est pas évident de trouver des personnes qui ont le même état d’esprit, qui veulent la même chose artistiquement et scénaristiquement. Après, on fait aussi des projets grâce auxquels on rencontre d’autres artistes comme par exemple Estelle Charrié, qui a travaillé sur Nymphopolis dernièrement… De manière naturelle, on se met à bosser avec des gens, et on se rend compte qu’ils apportent des choses qui nous manquent.
Marc : Pour parler concrètement, on a deux directeurs artistiques en CDI ici : Balak et Alexis Beaumont. Et à côté, on a beaucoup d’intermittents qui sont là toute l’année, ou qui reviennent très régulièrement. On n’a pas une typologie de personnes pour porter des projets. Le rôle d’Alexis et Balak, en tant que DA, c’est aussi d’accompagner des projets d’autres artistes. Mais de manière générale, il y a énormément de flexibilité dans les postes. Certains sont animateurs sur un projet, puis scénaristes sur un autre, etc.
Balak : Il y a de plus en plus de nouvelles têtes. Il y a une forte demande en sortant des études.
Marc : Et puis, on est le seul studio européen exclusivement spécialisé en animation pour adulte. Ici, il y a moyen de s’imprégner de l’ADN Bobby, qui permet de découvrir pleins d’aspects de l’animation pour adultes.

Parlons un peu de Peepoodo. Comment est née cette série qui explore la sexualité sous toutes ses formes ?
Balak : Le projet venait donc de Blackpills. Ils nous ont demandé 3 séries. Les deux autres étaient assez ambitieuses au niveau du budget, il en fallait une qui nous coûtait moins cher. On a pensé à faire une série pour adultes un peu porno. Il fallait que la réalisation soit rapide, que ça me parle. J’y ai mélangé l’essentiel selon moi : le rigolol, et le cul.
Marc : L’idée aussi, c’était de jouer sur les codes graphiques des films d’animation pour enfants. La saison 1 surtout, les traits sont assez enfantins, et ça contraste avec les sujets abordés. Mais Peepoodo, c’est une série impossible à diffuser. C’est un ovni dans le milieu audiovisuel, de par les contraintes de censure que ça engendre.
Est-ce important pour vous d’envoyer balader les clichés autour de la sexualité, encore très présents aujourd’hui (même si ça commence à bouger un peu) ? Il y a notamment des moments presque « pédagogiques » d’ailleurs, qui nous expliquent où se trouve le clitoris par exemple.
Balak : Le côté pédagogique, c’était une blague à la base. Puis on s’est rendu compte que ça pouvait être vraiment pertinent, que ça marchait bien. Au début, on rigole, et après on regarde plus sérieusement, et on se dit « ah mais je savais pas ça ».
Marc : Oui, c’est un aspect qui est très présent, surtout dans la saison 1.
Balak : Peepoodo, c’est un peu le Dora L’exploratrice du cul. On a d’ailleurs eu de très beaux messages de spectateurs, qui nous remercient de parler de cul de façon aussi décomplexée. On a eu des messages de parents ou de profs qui nous remercient d’ouvrir une porte pour aborder le cul avec les ados. Il y a aussi eu des retours de personnes qui avaient des complexes, ou même des personnes qui avaient subi des agressions sexuelles, pour qui Peepoodo a aidé à dédramatiser le sexe.
Marc : On a voulu abordé aussi des questions comme la transidentité. [! SPOILER !] Kevin devient Evelyne à la fin de la Saison 1. Beaucoup de personnes se sont reconnues dedans. On a fait très attention à la manière dont on l’a abordé. Ce sont des valeurs très importantes pour nous. Même si le mot « bienveillance » fait cringer beaucoup de personnes aujourd’hui, on essaye toujours de le garder en tête, et jamais d’aborder le sexe avec un aspect négatif ou lourd.
Comment travaillez-vous avec les doubleurs et doubleuses ? Vous travaillez notamment avec Brigitte Lecordier, qui est une sacrée pointure…
Balak : Ça dépend des projets. Sur Peepoodo, on les fait doubler directement sur les storyboard, et après on anime à partir de leurs voix. On aime beaucoup bosser avec les comédiens. D’ailleurs, on n’est moins sur du doublage que de la création de voix. C’était beaucoup le cas sur Les Kassos d’ailleurs, où on a beaucoup travaillé les voix et la création de personnages.
Marc : Il y a aussi énormément de gens qui travaillent chez Bobby qui font aussi le doublage des voix sur les séries. De la même manière qu’avec les artistes, on a une petite team de doubleurs professionnels ou non, qu’on a fidélisé et avec qui on travaille régulièrement. D’ailleurs la plupart ne viennent pas de l’animation, mais souvent du théâtre ou du stand-up.
[! SPOILER !] A la fin de la saison 2, les personnages de Peepoodo font irruption dans la réalité, dans vos studios. D’où est née cette idée de mêler les deux dimensions ?
Balak : On voulait faire de la SF avec cette saison 2. On a toujours voulu aborder ce thème de la créature qui rencontre le créateur. C’est une manière de jouer avec le côté making-of, qu’on aime beaucoup à Bobbypills. On aime montrer avec qui on travaille. C’était aussi l’occasion de rendre hommage à Brigitte Lecordier (la voix de Peepoodo) et Jeanne Chartier (la voix du Docteur Lachatte). On avait envie de donner un côté un peu Roger Rabbit, mais sans le budget (rires). Globalement, Peepoodo c’est un terrain de jeu pour nous, c’est la série sur laquelle on va se permettre le plus de tentatives. Vu que c’est produit par crowdfunding, c’est un laboratoire où on peut tenter des trucs.
Marc : Dans la saison 1, il y a un épisode qui est quasiment un podcast. Un autre où c’est un seul plan fixe. C’est très flexible, au niveau de la technique, du dosage comédie/émotion. Peepoodo c’est un conteneur d’expérimentation.
Ça vous fait quoi de savoir que Peepoodo va être diffusé dans une salle de cinéma ?
Balak : Je pense que ce sera un très beau moment de cinéma. On l’avait fait avec la saison 1, c’était très cool. Ça me fait chier de pas pouvoir assister à ça, d’entendre les gens qui se marrent dans une salle.
C’est quoi l’avenir de Peepoodo et de Bobbypills ?
Marc : Ce qui est sûr, c’est qu’on fera revenir Peepoodo et ses amis d’une façon ou d’une autre. Sûrement pas tout de suite, parce que c’est une série qui ne nous apporte pas d’argent, et qu’aucun diffuseur ne veut. De manière plus globale, on aimerait changer un peu notre image « trash » sur nos prochains projets, sur lesquels on est en train de travailler. Parce qu’il y a une réalité financière aussi qu’on ne peut pas négliger, on ne peut pas faire que des séries produites par financement participatif !
Balak : Oui, c’est vrai qu’on a forcément envie de faire que du trash, parce que c’est notre ADN. Mais on aimerait se diversifier un peu. Actuellement on est en train de bosser sur des séries pour adultes pour Netflix . On va se tourner vers d’autres genres, comme la comédie, la SF, mais aussi la romance.

La Saison 2 de Peepoodo and the Super Fuck Friends sera projetée au Zola le 8 octobre à 21h, suivie d'un making-of du studio Bobbypills. La séance sera présentée par MisterFox, vidéaste spécialiste du doublage.