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  • Clara

BLANCHE

Bien que le nom de Borowczyk évoque plus la Pologne que la France, ce réalisateur issu du surréalisme et de l’expérimental est bel et bien français. Installé à Paris en 1958, il tourne la quasi-totalité de ses œuvres dans la capitale et ne retourne qu’une fois à son pays natal en 1975 pour réaliser Histoire d’un péché.

De 1946 à 1967, Borowczyk se concentre exclusivement sur les courts métrages d’animation jusqu’à donner naissance à son premier long métrage Le Théâtre de monsieur et madame Kabal. On retrouve dans les thèmes abordés et dans le style quelque chose de Roland Topor pour le satirique et l’absurde, et de Alfred Jarry pour le grotesque et le théâtral. Il continue sa carrière en se tournant vers la prise de vue réelle avec Goto, l’île d’amour en 1968, Blanche en 1971, Les Contes Immoraux en 1974 et La Bête en 1975 pour ne citer que ses productions les plus célèbres. On peut diviser ce corpus en deux parties, avec d’un côté ce que l’on peut appeler le théâtre filmé, et de l’autre l’érotisme sublimé. Les Contes immoraux sont célèbres pour leur poésie, leur crudité, leur sensualité, et pour l’une des premières longues apparitions de Fabrice Luchini au cinéma, tandis que La Bête est connue pour sa réputation sulfureuse et controversée et ses scènes de sexe osées et déviantes. La représentation de sexualités multiples et variées est l’un des sujets dominants de ces deux œuvres et donnera le la à la suite de la carrière de Borowczyk. Dans Goto, l’île d’amour, le réalisateur nous offre une vision acérée des régimes totalitaires sous forme d’actes théâtraux, et avec Blanche il aborde le roman de chevalerie toujours avec ce que l’on pourrait qualifier de cinéma de plancher.


Ce dernier film cité est probablement l’un des plus sublimes de la filmographie de Walerian Borowczyk. Son auteur le décrit ainsi :

“Parmi courtisans, moines, gardes, soldats, un roi et son page, un seigneur et son fils s'opposent par la parole et conduisent le récit en crescendo jusqu'à un affrontement par la force où chacun donne libre cours à ses passions, sublimes ou brutales. L'enjeu : Blanche, la jolie jeune femme du vieux seigneur. Car c'est avant tout une histoire d'amour, d'un amour qui lutte et se débat pour rester pur, au-dessus de la mêlée, des jalousies, des mesquineries et des malentendus”


Blanche est inspiré de Mazeppa, une tragédie en cinq actes datant de 1840, écrite par Juliusz Slowacki. Très proche de la mise en scène de Goto, l’île d’amour, on y retrouve de nombreux plans fixes sensiblement similaires à la peinture du Moyen-Âge. Les longues focales aplatissent les décors et les figent pour donner une impression d’absence de perspective. Tout se joue sur un plan, tout est révélé au spectateur en un seul regard. La colorimétrie quant à elle évoque les murs gris des châteaux du nord de la France, l’argent des côtes de mailles scintillantes et les grands yeux de Ligia Branice dont le visage est habillé de parures d’acier. L’intégralité de cette toile sans fin est en nuances de gris jusqu’à la forêt brumeuse aux alentours du domaine. Le découpage de l'œuvre évoque également le théâtre avec son unité de temps, de lieu et d’action, et ses grands axes (l’exposition, le nœud, le dénouement).


Blanche apparaît telle une dame à la licorne entourée de prétendants tous plus voraces les uns que les autres. La splendeur chevaleresque y est exposée sous toutes ses formes, allant du combat entre nobliaux et valets aux fables des troubadours en passant par les scènes d’amour courtois et les manigances secrètes. L’imagerie moyenâgeuse est travaillée avec méticulosité dans les costumes sobres, l’ameublement minimaliste et la gestuelle maîtrisée des acteurs. Chaque détail compte, et la juste mesure est de mise pour permettre au spectateur une unité dans le suivi de l’intrigue et les informations visuelles qu’il reçoit. L’harmonie entre compréhension et vision de l'œuvre est respectée grâce à la méticulosité de Borowczyk qui efface toute superficialité.





Au travers de cette fable digne de Chrétien de Troyes, le réalisateur dénonce une fois de plus la hiérarchie, la société et les lois qui la façonnent. Chaque personnage est, en un sens, victime des plus grands et des plus petits que soi. Les règles imposées aux uns et aux autres divisent les protagonistes qui jouent chacun sur une strate différente de l’échelle de la noblesse. Le pouvoir et l’ordre séparent pour mieux régner et mènent inéluctablement à la perte.


Si quelque part en vous se cache un romantique au destin tragique, un chevalier éperdu d’amour, ou une princesse tentant d’échapper à une fatalité qu’on lui impose, Blanche est fait pour vous. Vous serez saisi par les courants d’air glacial d’une mise en scène clinique, et envoûtés par un récit universel de lutte et de joutes sentimentales.


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