top of page
  • Mathilde

CE QUI SE CACHE DERRIÈRE L'AFFICHE #1

Les écrans de nos salles, toujours éteints à cette heure, poussent les fragments de lumières qui composent les œuvres à migrer de la grande toile. Les cinémas ne font plus l'objet de regard qu’au moment de leur ouverture. Dépité pour l’instant mais impatient tout de même, le spectateur arpente l'avenue observant au loin, un bâtiment clos. Pourtant, sur leurs façades, on trouve toujours un éclat qui nous rappelle les couleurs du cinéma. En attendant de vous présenter ce qui sera de nouveau à l’affiche, voici un retour sur celles qui ont pu vous séduire, vous rendre curieux et celles qui continuent de nous bousculer dans les salles.


Les collaborations entre les metteurs en scène et les artistes plasticiens ne sont pas rares lors de l’élaboration d’une affiche de film. Ce document met d’ailleurs le doigt sur la corrélation ténue du cinéma en tant qu’industrie et en tant qu’art. Il est à la croisée de différentes idées : celles du commanditaire (cela peut être les ayants droits du film, le distributeur), de l’artiste affichiste, et du metteur en scène. L’affichiste tente de s'accommoder de ces différentes volontés. Dans le même temps, il réalise l’affiche comme un prolongement du film tout en faisant d’elle [l’affiche] sa vitrine. Ainsi, l’affichiste lui attribue un véritable potentiel de séduction dans l'espoir d’atteindre le spectateur.


En 1946 Henri Langlois, alors président de la Cinémathèque française, organisait la première exposition dédiée aux affiches de films. Lors de l’inauguration de l'événement, M.J.M Monnier, président d’honneur de la section des affichistes de cinéma, du syndicat des affichistes énonça les caractéristiques réglementaires de toute bonne affiche :


Le film est considéré comme une œuvre de l’esprit. Mais cette œuvre ne s’impose pas au public dès sa création. Elle a besoin, pour lui, d’être révélée de la publicité dont l’un des principaux éléments est l’affiche. [...] Elle doit être populaire, c’est à dire compréhensible par tous, suggestive par une synthèse simplifiée du sujet. Par un choix heureux des coloris, elle doit être agréable à l'œil et former autant que possible une tâche qui attire le regard.


Ce support de communication, censé servir les œuvres cinématographiques, n'en néglige pas moins son atout commercial. Par cette déclaration, l’affiche se convertit à l’idée du cinéma en tant qu’industrie du prototype. Elle devient un acte publicitaire au service de son entreprise.


Arrêtons nous sur l’un des plus grands affichistes français des années 1960-1970, René Ferracci. Derrière ce nom se cache pléthore de visuels, dont les films associés sont parmi les plus grands succès de ces deux décennies : Pierrot le fou de Jean-Luc Godard, Ma nuit chez Maud d'Eric Rohmer, Providence de Alain Resnais. Son art évolue et tire sa force d’une idée avant-gardiste, ce qui lui permet de soumettre à sa pensée, un bouleversement des techniques dans l’histoire des affiches. L’artiste commence chez la Metro-Goldwyn-Mayer et devient chef de publicité. Il poursuit sa carrière prometteuse dans la société de production Cinédis, dont le catalogue lui permet de collaborer avec les plus grands réalisateurs. René Ferracci devient le maître d'œuvre, il supervise le processus de fabrication de l’affiche, de sa conception à sa réalisation technique.


Ses influences artistiques diverses et son attrait pour l’expérimentation lui permettent de renouveler ses œuvres d’art tout en se détachant graduellement d’une idée fondatrice de l’affichisme. Ce qui avait pour vocation d’être un support illustratif, s’autonomise progressivement, et s’affranchit d’une idée reproductrice, celle de l'œuvre du réalisateur.


« Si l’on regarde bien, je crois qu’on peut trouver des lois, qui ne sont pas tout à fait celles de la publicité en matière d’affiches de cinéma. Elles éveillent tous les instincts de base : le sexe (même s’il n’est pas au premier degré) et la violence (ou une idée de la violence) », disait ce dernier. René Ferracci interroge son outil de travail, le travail de l’idée et sa mise en valeur. La finalité de la démarche est de provoquer l’attrait du spectateur.


Prenons l’affiche de La Mariée était en noir de François Truffaut, sorti en 1968.


Julie est une femme dont la vie lui semble avoir tout pris, jusqu’à son envie de vivre. Le film débute lorsque sa mère intervient avant que sa fille commette un geste désespéré et lui fait entendre raison. Dans un élan décisif, la jeune femme, interprétée par Jeanne Moreau, boucle sa valise et quitte les lieux, sans se retourner. Pour une raison qui ne sera dévoilée que dans les dernières minutes du film, Julie abat de manière froide et préméditée cinq hommes. Cette mariée vengeresse croise la route de ses victimes, aux profils variés : un père de famille dans un quotidien étriqué, d’hommes célibataires bienheureux ou désabusés et d’un artiste en mal d’inspiration. Cet entretien du suspens, le mystère vengeur qu’incarne Julie, n’est pas sans rappeler l'œuvre Hitchcockienne. Un autre indice allant dans ce sens, le compositeur Bernard Herrmann (Psychose, La Mort aux trousses), qui se plaît à reprendre le thème de la marche nuptiale, de façon funeste. Par ailleurs, Truffaut cite différents auteurs dans son film, Alfred Hitchcock bien sûr, sur lequel il est en train d’écrire un livre au moment du tournage, mais aussi William Irish, écrivain américain adepte de la littérature policière. Hitchcock lui-même a adapté l’un des romans de l’auteur dans Fenêtre sur cour en 1954.



















« Avec La Mariée était en noir, l’idée est d’utiliser le noir et blanc comme on peut le voir dans le titre, mais aussi de rendre la composition percutante en badigeonnant à la gouache la photographie de Jeanne Moreau en tenue de deuil. L’impression en offset bichromé valorise ce parti pris et accentue par son traitement l'atmosphère dramatique du film. »


Sur ces deux affiches, Jeanne Moreau occupe une place centrale. En effet, ce film est un hommage que tente de lui faire Truffaut. Sa posture et son regard frontal sur l’image de gauche, le doigt posé sur ses lèvres, lui confère un air de femme fatale, qui s’intègre parfaitement à cette intrigue policière. Julie Kohler est une séductrice, prête à tout pour arriver à ses fins. Cette attitude secrète participe à cette ambiance mystérieuse. Que le visage et le corps de l’actrice soient l’élément central de l’affiche nous révèle plusieurs choses. Premièrement, une certaine idée de l’état du cinéma français à cette époque, un cinéma de personnages, dont les têtes d’affiche sont un véritable argument pour les spectateurs. Aussi, le côté obsessionnel du personnage, dans sa réalité, plus rien d’autre n’existe, si ce n’est le sentiment de vengeance qui l’habite. Cet aspect revanchard est bien plus explicite sur l’affiche de droite, Jeanne Moreau tenant fermement l’une des armes utilisées pour ses meurtres. Cette ambition féminine est caractérisée par sa pugnacité et la droiture de sa vertu.

Le photomontage, créé par cette hybridité entre photographie et peinture, est une innovation de René Ferrucci. Ce détournement des règles classicistes grâce à cette technique mixte permet à l’affichiste de « détourner l’attention du commanditaire ». Il recycle la photographie et crée une nouvelle œuvre d’art à partir d’elle. Ainsi, les traits grossiers de la gouache qui transparaissent sur la photo, accentuent la haine consumante qui noircit peu à peu le personnage. Elle s’extirpe de son intériorité pour être graphiquement représentée.


Dans cette œuvre, Truffaut montre la manière dont le sentiment d'amour peut arriver à subsister dans une ambiance funèbre, et la quête du deuil d’une veuve esseulée.


Bibliographie


CAPITAINE Jean Louis, Ferracci : affichiste de cinéma, Paris, 1990, 140 p.

DE BAECQUE Antoine, «La veuve tueuse. La Mariée était en noir, de François Truffaut », Sociétés & Représentations [en ligne] , 2018/2, N° 46, p. 47-54. URL : https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2018-2-page-47.htm , consulté le 16.01.21

112 vues0 commentaire
bottom of page