- Mathilde
CE QUI SE CACHE DERRIERE LE DECOR#2
Dernière mise à jour : 18 mars 2021
On admet volontiers que le métier de chef décorateur, né à la fin du XIXème, a hérité en partie, des savoir-faire du théâtre. Toutefois, les premiers décors au début du XXème siècle s’apparentaient beaucoup plus à des toiles peintes avant de croiser, par exemple, un travail de machinerie. Dans les années 1900, les sous branches qui divisent l’équipe du chef décorateur n’existent pas encore, lorsqu’un décorateur est responsabilisé d’un projet, les autres décorateurs peuvent se joindre à lui, afin de produire un travail collectif. Les années 20, marquent davantage un tournant quant à l’affinement des techniques utilisées. En 2012, la convention collective nationale de la production cinématographique définit le travail du chef décorateur comme suit :
« Collaborateur du réalisateur, il a la responsabilité artistique et technique des décors du film. Il est chargé par le producteur, en accord avec le réalisateur, de la conception, de l'aménagement et de la construction des décors conformément au scénario et au plan de travail dans le cadre du budget ».
Pour mieux saisir les enjeux du métier, nous sommes allés à la rencontre de Anne Seibel, chef décoratrice ayant travaillé (excusez du peu !) pour Steven Spielberg, Sofia Coppola ou Woody Allen.

Comment se déroule le processus de création habituellement, quelles en sont les étapes principales ?
Concernant le métier de chef décorateur, je travaille essentiellement avec des productions anglo-saxonnes, même si les manières de travailler ne sont pas si différentes qu'en France. Il traduit à l’écran tout ce qui est dans la tête du metteur en scène à partir de son scénario. On raconte une histoire en partant de tout ce qu'il y a derrière avec les acteurs et en partant de la narration. Ce que l'on fait, cela dépend du sujet, de l’époque, cela peut être contemporain, futuriste, on amène dans son travail plus ou moins sa patte, tout dépend de la relation que l’on a avec le réalisateur. Quelques fois, ils aiment bien qu’on puisse les surprendre. Le métier consiste donc d’abord à lire le scénario, en parler avec le metteur en scène, choisir si les décors seront faits en studio ou des décors naturels ainsi que l’utilisation des effets spéciaux SFX, des VFX (N.D.R : il est nécessaire de pointer la différence entre les deux formes d’effets, les SFX, effets spéciaux sont ceux créés au moment du tournage, les VFX apparaissent en post-production, qui sont générés numériquement).
Le scénario est ensuite dépouillé, et classé en fonction des différents décors, et puis ensuite se lancer dans la fabrication du film. C’est un métier d’équipe, chacun se met au service de la réalisation des décors, chacun des assistants est mobilisé jusqu’au tournage. Durant cette période, chacun apporte les accessoires, je vais livrer le décor tous les jours, et je repars préparer celui d’après. C’est un processus où on avance au fur et à mesure du film. La composition de mon équipe c’est un peu comme un orchestre, il y a le chef d’orchestre - c’est un peu moi. J’ai un premier assistant, j’ai une ensemblière qui s’occupe des meubles et des accessoires, un chef constructeur qui va s’occuper de la construction. Il y a également les autres équipes, ceux qui font des plans, les illustrateurs, ceux chargés des graphismes, les stagiaires. Le chef constructeur a lui aussi son équipe.
Vous êtes, en plus de votre activité principale, enseignante à la FEMIS. Comment s'organisent vos cours ?
Je dirige le département du décor, il y a quatre élèves par an. Chaque année, il y a des exercices, avec de la pratique essentiellement. J’amène des intervenants qui sont dans la profession et qui les encadrent sur les exercices. Je chapeaute le tout, et, même si je travaille à côté, je garde un suivi régulier, tout le temps. Dans leur scolarité il faut qu’ils construisent trois décors en studio et le reste de l’année, ce sont des exercices de maquettes, dessins, c’est vraiment tout ce qu’on fait après, mais à petite échelle, tout ça pour leur transmettre cette boîte à outils.
De quelles manières s’organisent les recherches préparatoires de votre côté, s’il s’agit d’une fresque historique par exemple ?
Pareil, on part du scénario mais quand le film a un côté historique comme Marie Antoinette (N.D.R : film de Sofia Coppola, sorti en 2006) par exemple, on a des historiens qui nous aident à reproduire cette fidélité. On essaye d’être le plus juste possible, pour ne pas choquer mais on fait “à la manière de”. Dans Marie Antoinette, il y a des libertés qui sont liées à l’envie de Sofia Coppola de faire des choses un peu plus modernes, surtout dans la musique et des clins d’œil dans le film, les couleurs pastel, mais le reste est assez historique et recherché. J’ai fait des jours et des jours de recherche. C’est elle qui avait un carnet de tendances au départ. En ce moment, je prépare un film indien sur une artiste indienne, j’ai déjà 3 Giga de recherche alors que je ne la connaissais pas deux mois avant. La mère du personnage est hongroise, alors on se demande à quoi ressemblait la Hongrie dans les années 1930 par exemple, la recherche va très loin dans le détail.
Justement, en partant des détails, à quel point pensez-vous intervenir dans la vision de l’auteur ?
Avec Woody Allen par exemple, je l’ai fait tourner dans des lieux qui n’étaient pas dans le scénario. Dans Minuit à Paris, il y a une soirée qui se passe chez Fitzgerald, donc dans un appartement. Je l’ai emmené au Musée des Arts Forains, avec des manèges, c’est un lieu magnifique, je l’ai un peu incité en lui disant qu’on devait tourner cette scène ici. Ces manèges qui tournent, c’est un peu comme le temps qui passe. Il me dit même à chaque fois que je travaille avec lui : « Si vous trouvez un lieu, ça m'intéresse, on change le scénario ». Le Musée des Arts Forains c'était plus simple que d'emmener toute l'équipe dans un appartement (N.D.R : ce qui était prévu à l’origine dans le scénario), plutôt que tout remeubler façon années 20, le temps d’une soirée.
Intervenez-vous dans le volet post-production ? On parlait précédemment des effets spéciaux, cela doit impacter sur votre métier peut-être ?
Quand j’ai fait le film avec Ralph Fiennes pour le film sur Noureev (N.D.R, The White Crow de Ralph Fiennes, sorti en 2019 - diffusé au Zola), on a eu des extensions numériques. J’ai construit l'aéroport et j’ai travaillé en amont avec les effets spéciaux. Par la suite, ce sont eux qui nous ont sollicités pour l’ambiance parisienne et certains détails qu’ils n’avaient pas. Normalement, on ne le fait pas, on n’est même pas payés pour ce qui arrive après. Maintenant avec les nouvelles technologies, il va falloir qu’on intègre ce volet avant et après. Il y a 4 personnes, le directeur de la photographie, le réalisateur, le chef décorateur et le superviseur des effets visuels qui travaillent ensemble dès le démarrage.
Concernant votre formation en architecture, comment vous apporte-t-elle au quotidien dans vos projets ?
Je pense qu’un chef décorateur devrait savoir dessiner, quand on a fait de l'architecture, on a déjà une certaine expérience, une vision de l’espace. On construit, on travaille la lumière, les couleurs, donc quand on arrive en décor, on a déjà cette aptitude à construire et à voir en volume. A la FEMIS, j’essaye de faire rentrer des gens qui savent dessiner en amont et qui sortent avec les bagages que je leur transmets aussi. Cette formation m’a servi, par exemple, lorsque j’ai construit l'aéroport dans Noureev, ça ne m’a pas fait peur.
D'où vous est venue cette envie en premier lieu ?
J’ai fait la connaissance du décorateur des films de Jacques Demy (N.D.R: Bernard Evein, un des fidèles collaborateurs du réalisateur, ayant notamment conçu les décors des films Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort ou Lola). Quand j’ai découvert son travail, je faisais à l’époque des maquettes avec mes cousins et mes sœurs, je me suis dit : « C’est incroyable, ils font exactement ce que je fais toute l’année avec mes cousins et en plus, ils sont payés ». C’est parti de là en fait. Je suis allée en architecture pour suivre mes copains - l’année d’avant j'étais inscrite en médecine, ça me plaisait déjà, j’aimais bien faire des maquettes donc j’ai poursuivi. C’est comme si je réalisais un rêve d’enfant. Je construisais des maisons de poupées, maintenant j’en construis pour les autres.
Merci à Anne Seibel pour avoir pris le temps de répondre à nos questions, sa disponibilité et sa sympathie.
La photo de couverture de l'article est issue du documentaire Une femme au coeur de l'illusion, un documentaire de Tibo Pinsard, dédié au travail quotidien de Anne Seibel.