- Camille Frouin
L’érotisation de la domination dans le cinéma de genre
Dernière mise à jour : 4 mars 2021
Camille Frouin, du compte instagram @lhorreur_est_humaine nous fait le plaisir de partager avec nous son point de vue sur l’érotisation de la domination dans le cinéma de genre !
Si comme moi tu es fan de films d'Horreur, ou plus largement de films de Genre, tu en as vu passer des paires de seins à l'écran... A priori rien de mal à ça, j'en ai moi-même et je dois dire que c'est plutôt chouette. Sans totalement condamner ces images fantasmées, je les ai souvent interrogées. Le cinéma d'Horreur est un formidable outil pour comprendre l'évolution de nos sociétés, ses rapports de domination, ses rapports aux genres et aux sexualités.
Je précise ici que lorsque je mentionnerai « les hommes », je parlerai des hommes cis genre (dont le genre correspond à leur identité de naissance) et hétérosexuels. Cette précision est nécessaire car les personnages féminins du cinéma de Genre ont été pensés par eux et pour eux, et même si c'est de moins en moins le cas, concernant ce cinéma, les femmes sont encore minoritaires sur les plateaux et dans les salles.
Les personnages féminins du cinéma de Genre nous laissent des souvenirs marquants. L'Horreur a d'ailleurs été précurseur concernant la représentation des femmes au cinéma, leur offrant tôt des rôles hauts en couleurs et des scènes bien ancrées dans nos imaginaires collectifs. On pense évidemment au personnage de Ripley dans Alien, à Carrie, ou encore à Laurie dans la saga Halloween. Cette représentation des femmes fortes, battantes, des « final-girl », on la doit à la Blaxploitation qui a détourné les stéréotypes de l'Horreur et de l'Action dès les années 70. Au milieu de ces bonnes intentions portées par le cinéma de Genre, il y a aussi des loupés, des stéréotypes poisseux et un tas de contradictions. Mais l'Horreur est humaine après tout, et ça, tout le monde le sait.

Pam Grier, Coffy, 1973
Le cinéma d'Horreur est une catégorie qui joue avec les corps comme des vecteurs de nos rapports de domination et de pouvoir. Du vampire suceur manipulateur au tueur à la force surréaliste, elle met en scène de nombreuses formes de dominations plus ou moins explicites, physiques, psychologiques, et plus ou moins réalistes. Avec la pornographie, c'est un des rares genres qui représente notre rapport au corps de manière violente et souvent stéréotypée. Fréquemment, l'Horreur érotise les rapports de domination, en particulier la domination des corps d'hommes sur les corps de femmes. C'est précisément cette mise en scène qui peut poser problème, car l'Horreur est souvent tombée dans ce que l'on nomme « l'objectivation ». Il ne faut cependant pas tomber dans cet amalgame que je croise souvent : la sexualisation et l'érotisation sont différentes de l'objectivation.
L'objectivation c'est le fait de rendre objet. C'est un terme qui a été développé dans les années 90 en psychologie sociale pour analyser l'impact psychologique des représentations des corps de femmes dans la culture dominante. Elle a lieu lorsque le corps d'une femme, les parties de son corps, ou ses fonctions sexuelles sont séparées de sa personne, réduites au statut de simple instrument. Malheureusement dans de trop nombreuses productions du Genre les femmes sont réduites à l'état d'objet de désirs, de sexualité. Évidemment de moins en moins, mais pour être née dans les années 90, et pour avoir baigné dans la Science-Fiction, l'Action et l'Horreur des années 2000-2010, je pense avoir été spectatrice d'images très objectivantes et réductrices. L'impact de ces images n'est pas anodin, surtout pas à un âge où l'on a que très peu d'esprit critique. Le cinéma de Genre a beaucoup normalisé les corps et les désirs. Un corps gros, un corps mou, des petits seins, pas de sein, un corps noir, un corps asymétrique, un corps vieux, un corps handicapé, un corps transgenre, dans la majorité des productions ne sera pas considéré comme érotique. Sur ce point, le chemin de la déconstruction est encore long.
La sexualisation, quant à elle, est simplement le fait de rendre quelque chose ou quelqu'un·e sexuel·le, ce n'est pas mauvais en soi, dans l'Horreur c'est plutôt monnaie courante. Sauf quand on est dans l'hypersexualisation ou aussi appelée sexualisation précoce qui surf sur le terrain dangereux de la pédopornographie. Si vous êtes habitué·es des films des années 70 (de cette époque on peut citer Du sang pour Dracula de Morrissey, ou encore le terrible film français Spermula de Charles Matton) vous savez que l'on a souvent frôlé ces limites. En fait, la sexualisation est inhérente à l'Horreur. L'Horreur a quelque chose d'érotique par essence, par excès. Sacrifice, violence, domination et érotisme font parfois partie de la même pulsion. En psychologie on appelle cela les « pulsions scopiques », cette pulsion où un individu s'empare de l'autre comme objet de plaisir qu'il soumet à son regard contrôlant. L'Horreur en somme c'est un bon exutoire pour nos pulsions scopiques. C'est un espace où l'on montre des émotions débridées. Au premier rang des mythes entre horreur et érotisme il y a bien sûr le marquis de Sade, il y a aussi les mythes de vampires. L'arme blanche dans les films d'Horreur, notamment dans les slashers, est bien connue pour être un symbole phallique (le couteau, la tronçonneuse, la machette), parfois sans grande subtilité.

Christopher Lee et Jenny Hanley, Les cicatrices de Dracula, 1970
Le souci de la sexualisation telle que présentée dans de nombreuses productions du Genre est exactement le même que dans la société en général. L'érotisme de notre société a été construit par et pour les hommes cis genre. Dans l'Horreur, comme ailleurs, les corps d'hommes sont très rarement érotisés alors que pour les femmes, la nudité est surtout représentée comme ayant une valeur érotique. C'est finalement habituel de voir une femme sexualisée dans un film, pourtant la société est encore très mal à l'aise face aux femmes pleinement conscientes de leurs désirs et affirmant leur sexualité. De plus en plus, on croise des productions où les femmes sont actrices de leurs propres désirs et c'est important.
Dans le cinéma d'Horreur, on a longtemps poussé le spectateur au voyeurisme. Dans les films Slasher (ces films avec des tueurs en série et des meurtres à répétition très prisés dans les années 70-80), la nudité était souvent représentée dans les premières minutes du film. Ces scènes sont même devenues cultes, à la limite de devenir un code du film Slasher. A cette époque, dans les salles obscures, on attendait la nudité des femmes et les sifflements qui allaient avec. Plus largement dans les productions de Genre, les vêtements portés par les femmes sont en moyenne plus dénudés alors que les hommes vont être généralement plus couverts. L'armure des femmes est moulante, dénudée, l'armure des hommes est hyper équipée, camouflée. Dans les années 70, cette nudité était perçue comme symbole de libération des corps de femmes et donc avait une valeur positive. Mais cette libération a aussi été utilisée comme prétexte à l'objectivation dont je vous parlais plus tôt. Et puis d'ailleurs, quid de la nudité au masculin?
Il me semble que les rares longues scènes de nudité au masculin dans les films de Genre sont les transformations : celles de Loup Garou par exemple, une figure qui a d'ailleurs un potentiel érotique. Le Loup Garou de Londres en 1981 est notamment un film qui a marqué les esprits en partie pour cette raison à son époque. La Mouche également, dans une moindre mesure en 1986.

David Naughton, Le loup Garou de Londres, 1981
La figure de l'homme vampire est aussi particulièrement érotique, même sans nudité, sa sexualité est toujours très suggérée. Dans les années 90, Entretien avec un vampire a eu le mérite de représenter au grand public l'homosexualité, mais également tout le potentiel érotique du vampire. On peut aussi noter l'intérêt d'une série comme Buffy contre les vampires qui érotise son vampire principal Spike, et le dénude partiellement dans de nombreux épisodes. Il ne faut cependant pas oublier que le mythe du vampire nous parle de viol, de domination, de perversion narcissique. Rien de mal à fantasmer, simplement on ne peut pas dire qu'il soit une figure révolutionnaire puisqu'il représente un certain biais problématique : cette idée que le corps d'un homme, pour être érotique, doit avoir quelque chose de dominant. D'ailleurs, si la figure du vampire est de base très sensuelle, ambiguë, et s'éloigne du stéréotype du corps dominant par sa musculature et sa virilité, certaines productions ont complètement dénaturé le mythe : je pense notamment à Dracula Untold, qui en 2014 a donné une allure guerrière et très virile à son Vlad.
Alors que l'on compte un nombre incalculable d'actrices adulées pour leur « potentiel sexy », on compte moins d'acteurs valorisés pour ces mêmes raisons. Il y a tout de même des acteurs qui ont été très érotisés dans le cinéma de Genre : Schwarzenegger, Brad Pitt... Mais ces acteurs représentent, encore une fois, la principale manière d'érotiser des corps d'hommes au cinéma : une certaine idée de l'ultra virilité. Dans les années 70-80 la figure de Schwarzenegger a révolutionné la représentation des corps d'hommes, en faisant de l'homme bodybuildé quelque chose d'incroyablement attirant. Alors qu'avant lui, le fantasme du corps masculin hyper musclé était réservé aux cultures homosexuelles, il devient à cette époque fantasmé par les femmes hétérosexuelles. S'accompagne à cette ultra musculature presque mythologique, la domination par le corps : l'homme érotique est fort, dominant, et sait user de la violence. Et de Schwarzy à Vin Diesel, il n'y a qu'un pas. Cette représentation a peu évolué.
Le cinéma de Genre érotise peu mais érotise quand même les hommes, seulement quand il le fait, il véhicule une idée très cloisonnée de ce que doit être la masculinité. C'est la virilité : cette virilité à la fois vue comme menaçante (la virilité des tueurs, des monstres, des méchants) mais aussi comme étant la norme la plus valable pour être un homme, la manière la plus attirante et celle qui gagne le plus souvent à la fin.

Sharon Stone et Arnold Schwarzenegger,Total Recall, 1990
Dans de nombreux films qui sont encore très réputés aujourd'hui, la domination du corps de l'homme sur le corps de la femme dans des scène censées être romantiques, érotiques, n'est toujours pas questionnée. Certains films glorifiés nous montrent pourtant clairement des scènes d'agression et de harcèlement : un acte non consenti est représenté comme attirant, érotique. Plus vulgairement, être un connard est montré à l'écran comme quelque chose de sexy. Dans Star Wars on questionne peu le comportement d'Han Solo à l'égard de Leia, qui s'apparente pourtant souvent à du harcèlement. Dans James Bond, les mains aux fesses sont monnaie courante. Dans Indiana Jones, le baiser est forcé. Dans Total Recall, Lori visiblement très énervée souhaite quitter le lit, Douglas la tire violemment par la jambe pour qu'elle y reste, ils s'embrassent. Dans Blade Runner, Rick Deckard empêche Rachel apeurée de sortir de la pièce, fait barrage avec son corps et l'intimide pour qu'elle couche avec lui. Cela s'appelle du viol, et dans notre culture cette scène est considérée comme incroyablement romantique. Sur Youtube elle est titrée « Love Scene » et a été vue 929 774 fois.
Fort heureusement, face à cette représentation des corps d'hommes comme dominants, contrôlants, la « final girl » (la survivante badass des films d'Horreur) viendra s'imposer comme le personnage féminin sachant se battre et se défendre. Depuis l'apparition de ce personnage dans les années 70, de nombreuses « femmes fortes » se sont succédées à l'écran, et même si nous sommes en droit de questionner cette dénomination, tant qu'il n'y aura pas de diversité et d'égalité entre les femmes et les hommes au cinéma on aura besoin de ces femmes fortes. Le cinéma d'Horreur a en fait grandement contribué à légitimer la réponse agressive d'une femme face à la violence d'un homme, ce qui à l'époque n'était pas une évidence et ce qui ne l'est toujours pas aujourd'hui.
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Un des premiers films de Genre, très subversif à l'époque, à avoir montré des femmes actrices de leur propre sexualité et témoignant leur désir pour des hommes est Faster, Pussycat ! Kill ! Kill ! de Russ Meyer en 1965. Vu d'ici c'est un énorme nanar des familles. Avec notre œil actuel on le considèrerait même comme sexiste parce que les héroïnes sont très sexualisées. Mais dans le film, ce sont elles qui font le choix de se dénuder et d'exprimer leurs désirs vis à vis d'hommes. Leur nudité était à l'époque révolutionnaire, un symbole de libération des corps. Faster Pussycat inverse les rapports de domination et nous propose une satire décomplexée de l'Amérique des années 60.
Black Christmas de Bob Clark en 1974 est considéré comme le premier Slasher. Peut-être encore trop méconnu, il met en scène des femmes dans leur quotidien d'étudiantes, des personnalités variées, et des jeunes capables d'exprimer leurs désirs. C'est aussi un film qui a le mérite de montrer une sororité, de la solidarité entre les femmes, ce qui a été très peu représenté dans le cinéma de Genre qui préfère les crêpages de chignon et les femmes qui combattent seules leurs agresseurs.
A la même époque, le slasher des familles The Slumber Party Massacre nous montre une adolescente en train de lire dans son lit « PlayGirl » avec en couverture Sylvester Stallone et une bande de copines qui fantasment sur le livreur de pizza. Ce film a été réalisé par une femme : Amy Holden Jones, chose rare dans l'univers du slasher, et scénarisé par Rita Mae Brown une figure du mouvement lesbien. Tout le film est une critique des codes du Slasher tout en sachant pourtant les utiliser, les spectateurs non avertis ne se sont surement pas rendus compte de cette supercherie à l'époque.
Dans un autre genre, gore et nanar décomplexé (pour public déjà habitué aux séries B), Frankenhooker de Frank Henenlotter en 1990 met en scène une monstresse de Frankenstein moderne qui finit par se rebeller contre l'instrumentalisation de son corps par les hommes, et plus précisément par son petit copain odieux et misogyne. Avec, au passage, une bande de prostituées hyper à l'aise dans leurs désirs et leurs corps qui se vengent de leur mac abusif. En bref ? Un film débile mais pas que.