- Mathilde
LA FIGURE ADOLESCENTE EN SALLE /1
Dernière mise à jour : 11 juin 2022
On peut trouver la figure adolescente chez tout spectateur, comme un passage obligé, tenant en son sein, une foule de moments marquants. Difficile d’ apposer à cette période de simples repères chronologiques dans un moment de l’existence où l’on ne cesse d’en faire le (dés)apprentissage, plongé dans le climat d’une relative incertitude.
Parmi ces repères, les modèles figuratifs qui inspirent les jeunes se chevauchent, relayés dans les œuvres culturelles, certains animés d’un souffle de révolte, de désenchantement ou bien de légèreté. Jean François Hamel, enseignant à Québec, revient sur la transposition de cette identité adolescente avec son article « Jeunes gens en colère », analysée au travers d’œuvres cinématographiques. Ce titre fait référence aux mouvements qui allaient à l’encontre d’une forme de culture dominante - ici, un mouvement né en Grande-Bretagne -, à l’initiative de la jeunesse.
L’auteur constate un conflit à l’échelle d’une production qui se veut destinée au même public.
Il met en opposition un contenu créé « pour les adolescents, c’est-à-dire produits pour plaire aux jeunes avides de modèles forts et de divertissement », puis, en marge de la vulgate officielle, « une série de films traitant de l’adolescence en l’observant avec franchise ».
Cette deuxième catégorie aurait le mérite d’incorporer une puissance dramatique à ses œuvres, ce qui les rendrait plus proches des drames situationnels de la jeunesse.
Pourtant, doit-on entendre par là, une hiérarchisation entre ces deux pôles : les films réalisés pour divertir, afin d’espérer une fenêtre évasive face aux lourdeurs dramatiques, face à ceux qui dépeindraient le monde d’une manière plus franche ?
Justement, de quelle manière pourrait-on juger de la justesse de ton envers l'adolescence dans les films, et par la même occasion, anoblir un genre cinématographique au détriment de l’autre ?
Il n’est certainement pas nécessaire d’en arriver à de tels recours, et ce n’est pas non plus cette vision manichéenne que décrit l’article.
Jean François Hamel soulève en réalité, le problème d’une représentativité, d’un « être au monde » de cette jeunesse, reflétée dans les films. Cette problématique s’associe donc avec le souci du réalisme. Ce dernier n’a pas (que) la justesse comme synonyme, et au contraire, son artifice peut être aussi contraignant que son absence. En espérant atteindre la jeunesse comme cible, les œuvres cinématographiques se restreignent parfois, soit l’inverse de leur objectif, en rencontrant une population aussi hétéroclite que mouvante.
Un paradoxe que soulève Adrienne Boutang dans « Jeunes, je vous ai compris » : stratégies de ciblage dans les teen movies, maîtresse de conférences à l'université de Franche-Comté. Spécialiste de cette problématique représentative, l’autrice questionne tout un pan de l’industrie cinématographique américaine. Si le teen-movie s’est placé un temps, dans les années 1950 grâce aux drive-in, comme le genre regroupant les caractéristiques requises pour aborder cette audience, il trouve rapidement ses limites. Comme toute œuvre générique au cinéma, il possède sa recette, construite à partir de codes et d’un langage qui lui est propre.
Néanmoins, les spectateurs qui ne peuvent se reconnaître ou s’approprier ces marques peuvent être laissés en dehors de l'œuvre.
Aussi, la figure de l’adolescence connaît plusieurs problèmes esthétiques issus de cette représentativité dans les films.
Il paraît relativement difficile de mettre en images le conflit intergénérationnel avec adresse, et donc crédible aux yeux de ce public, dans une production initialement décalée avec ce dernier, c'est-à-dire, avant même sa diffusion en salle. Finalement, ces quelques tentatives infructueuses montrent la collaboration difficile de l’industrie cinématographique qui peine à produire un contenu, et des variables sociologiques et structurelles qui la dépassent.
En résumé, ce cinéma de la jeunesse montre l’articulation d’un discours, celle parfois paradoxale entre « l'adolescence au cinéma face au cinéma pour adolescents. »
Ce discours, qui oppose parfois plusieurs franges du cinéma, sort de l’écran pour se répercuter aux salles de cinéma. Il devient donc méta-filmique, notamment en ce qui concerne la représentation des jeunes.
Rappel sur un éventuel contresens que les médias non ou peu spécialisés relaient très régulièrement : les jeunes ne vont plus au cinéma. A l’heure de l’avènement des plateformes de streaming SVOD et du couronnement populaire du jeu vidéo, les salles obscures apparaissent comme une activité d’un autre temps.
Or, les 15-25 ans représentent toujours en 2019, la deuxième tranche d’âge (selon les barèmes du CNC) à aller au cinéma, derrière les 60 ans et plus. Toutefois, la courbe de leur fréquentation diminue sensiblement d’année en année, contrairement à celle des seniors qui elle prend le chemin inverse.
C’est pour répondre à ce manque évident que les salles de cinéma se sont organisées, en élaborant de nombreuses initiatives envers cette audience. Les médiateurs dans les salles, considérés comme les relais entre l'œuvre et le public, tentent de réfléchir de concert avec les programmateurs, à des initiatives innovantes et attractives.
Sur le territoire rhônalpin s’est même monté un dispositif unique en France, un laboratoire de recherche sur ces questions de médiation. Le coordinateur du RMC (Réseau Médiation Cinéma), Olivier Gouttenoire, revient sur l’origine de ce dispositif :
« Le RMC est né d’une concertation entre la Région Rhône-Alpes et les différents réseaux de salles de cinéma de la région. Il y a d’abord eu le constat que diffuser des films ne suffisait plus pour que le public, et notamment jeune, se déplace régulièrement dans les salles Art et Essai. La médiation dans les salles de cinéma a donc été valorisée et aidée par les pouvoirs publics. Pour que ces dynamiques ne soient pas isolées, s’enrichissent les unes les autres, il fallait une coordination qui est passée par la création du RMC.
Il reste en veille sur tout ce qui se fait dans la région en matière de médiation, particulièrement auprès des 15-25 ans, organise des temps de rencontres réguliers entre les médiateurs, des formations, coordonne des tournées d’équipes de films, propose des outils mutualisés. »
Olivier Gouttenoire recense également les différentes raisons de cette raréfaction des 15-25 ans dans les salles Art et Essai :
« En fait, les jeunes représentent toujours une proportion plus importante dans le public des salles de cinéma qu’ils ne sont dans la population française en général. Ils sont toujours très cinéphiles, regardent beaucoup de choses, et de qualité, mais sur des supports plus diversifiés. C’est la baisse de leur fréquentation qui inquiète, due à plusieurs facteurs comme : l'image du lieu, l’écho de sa programmation, la perception de la salle de cinéma par les jeunes. Des études sociologiques ont pu montrer qu’ils assimilent trop la salle de proximité, Art et Essai, à un environnement scolaire, l’accès inégal entre les salles aux mêmes films, le travail d’accompagnement des salles est toujours à améliorer, mais est bien plus important dans les salles de proximité que dans celles des grands groupes. Enfin, plus récemment, la multiplication et la démocratisation de certains supports de VOD.
Il y a donc des facteurs propres à l’économie du cinéma, à la médiatisation de certains films, à la façon d’accompagner les sorties scolaires en salles, qui s’accumulent et expliquent les difficultés des salles de proximité à capter le public jeune. »
Ainsi, l’appréhension du public adolescent/jeune adulte est parfois mise à mal dans tous les maillons du cycle de vie d’une œuvre, de sa conception jusqu’à sa distribution. Un travail est déjà entamé pour pallier ce problème, mais il reste à le poursuivre.
Pour lire la deuxième partie, cliquez ici.
Bibliographie
Boutang Adrienne, « Jeunes, je vous ai compris : stratégies de ciblage dans les teen movies, des années 1950 à aujourd'hui », Le Temps des médias, 2013/2 (n° 21), p. 82-103, URL : https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/revue-le-temps-des-medias-2013-2-page-82.htm.
Hamel Jean-François, compte rendu de « Jeunes gens en colère : l’adolescence au cinéma », Ciné-Bulles, 2013, p. 48–51.