- Clara
LE RENOUVEAU DU CINÉMA DE GENRE FRANÇAIS
Quelle curieuse appellation retrouvons-nous là avec le cinéma dit « de genre ». Que reflète-t-elle en réalité, et que veut-elle dire ? Ce label estampillé sur tous les films hors normes, autres, et parfois non catégorisables, est en réalité à prendre avec des pincettes. Car il n’existe pas un genre, mais toute une palette d’émotions et de couleurs allant de la comédie au drame en passant par le thriller, le policier, ou encore le western. Mais ne sont rangés dans cette catégorie que les films d’horreur, la science-fiction, les œuvres expérimentales, ou les longs métrages fantastiques. Cette étiquette étouffe toutes les possibilités qu’offre ce cinéma sortant des sentiers battus pour s’aventurer dans les mondes de l’imaginaire.
Découvrons ensemble, au travers d’une sélection non-exhaustive d’une dizaine longs métrages allant de 2016 à 2020, la richesse du cinéma français au travers de ses œuvres les plus audacieuses et irréelles. Et tentons de comprendre en quoi le "genre" a toute sa place sur nos grands écrans et dans notre société.
Évolution (Lucile Hadzihalilovic, 2016)

Lucile Hadzihalilovic est l’une des réalisatrices françaises les plus insaisissables du cinéma surnaturel en France. Exploratrice de la psyché humaine, et plus particulièrement enfantine, elle nous interroge sans cesse sur ce qui se passe en nous et en dehors de nous. Elle revisite les codes de notre société et les réinvente pour créer des systèmes nouveaux et étranges. Dans Evolution, Nicolas, onze ans, vit en bord de mer au milieu de femmes et de jeunes garçons de son âge. Un hôpital surplombant les récifs administre d’étranges traitements aux enfants et Nicolas s’interroge, remet en question la toute-puissance maternelle, et cherche des réponses. Dans le court métrage La Bouche de Jean-Pierre (1996), ou bien encore Innocence (2005), Lucile Hadzihalilovic n’a de cesse d’explorer ce rapport enfants/parents, ou enfants/adultes de manière plus large. Au travers de mises en scène éthérées et très personnelles, elle ose poser les questions que l’on fuit et nous met face aux réalités d’une éducation défaillante.
Grave (Julia Ducournau, 2017)

Lors de sa sortie en salle, Grave a eu l’effet d’une bombe dans le monde du cinéma d’épouvante français. Glaçant et éprouvant, le film raconte l’histoire de Justine, étudiante en école vétérinaire qui va se découvrir un attrait nouveau pour la chair… Cette œuvre nous propose une double lecture intéressante, plongée dans un cadre léché et une réalisation particulièrement bien maîtrisée pour un premier long métrage. Alors qu’en 2002 Marina de Van nous proposait avec Dans ma peau un récit d'auto-cannibalisme punitif, Julia Ducournau nous présente ici les affres de l’adolescence via le rapport à notre propre corps et à celui des autres. Qu’est-ce que j’accepte de l’autre ? Comment je me nourris de lui ? Qu’est-ce qui entre dans mon propre corps et qu’est-ce qui en ressort ? Ces problématiques hantent le personnage de Justine qui découvre sa sexualité naissante et le monde universitaire. Au-delà de cette thématique, la réalisatrice semble également aborder la question du véganisme. Justine refuse de manger de la viande animale et s’en tient éloignée le plus possible au début de l’œuvre. C’est là que le spectateur peut capter une deuxième lecture : que devient-on à partir du moment où l’on consomme du vivant ? Qu’est-ce que ce rapport à l’animal fait et dit de nous ?
La nourriture, et la manière dont on se nourrit, semble être l’une des grandes obsessions de Julia Ducournau. Et vous le découvrirez dans son prochain film, Titane, prévu pour 2021…
Ghostland (Pascal Laugier, 2018)

Pascal Laugier est un réalisateur majeur du cinéma d’épouvante moderne en France. Saint Ange (2004), Martyrs (2008), The Secret (2012), et Ghostland en 2018 sont ses quatre longs métrages consacrés au genre. Intenses, extrêmes et dérangeantes, ses œuvres sondent la noirceur d’un monde malade au bord du chaos. Au travers de l’histoire de Beth et Vera, deux sœurs ayant vécu le traumatisme d’une tentative de meurtre, Pascal Laugier nous raconte comment chacun, à sa manière, fuit la réalité lorsque celle-ci devient insupportable. Avec brio il nous entraîne dans l’enfer de la séquestration et nous livre des scènes sublimes rendant hommage aux plus grands films d’horreur français. Cinéaste, mais cinéphile avant tout, ce réalisateur explore le genre, le modernise, et lui donne ses lettres de noblesse grâce à de vraies compétences scénaristiques charmant le spectateur.
La Nuit a dévoré le monde (Dominique Rocher, 2018)

Derrière ce titre énigmatique se cache un scénario étrangement d’actualité… ! Après une soirée bien arrosée dans un appartement au cœur de Paris, Sam se réveille seul, entouré d’une horde de zombies affamés. Il devra survivre coûte que coûte dans un monde devenu hostile où tout contact avec autrui n’existe plus. La Nuit a dévoré le monde nous rappelle étrangement cette période de confinement que nous sommes en train de vivre. On se demande ce qu’est vraiment une vie « normale ». Est-ce une vie où le travail reprend ? Ou bien une vie où nos interactions sociales prolifèrent ? Comment faire quand l’autre n’est plus là et qu’on se retrouve seul face à soi-même ? La force de ce long métrage réside ici : la vraie terreur ne vient pas des zombies, mais bien de nous-même et de ce qui risque de ressurgir, ce qui se cache au plus profond de nous. Dans une belle invitation à l’introspection, Dominique Rocher nous livre ici un premier film sensible et personnel où l’horreur n’est qu’un prétexte pour exposer des sujets intimes et profonds.
Revenge (Coralie Fargeat, 2018)

A l’ère de #Metoo et #Balancetonporc, Coralie Fargeat réussit le pari risqué de présenter au public un rape and revenge. Ce sous-genre cinématographique propre à l’horreur met en scène le viol d’une femme, puis sa vengeance. Souvent très graphiques et crus, ces films ont pendant longtemps été un simple prétexte pour les effusions de sang et le gore outrancier. Ici, Coralie Fargeat développe un argumentaire fourni et pertinent sur le regard que notre société moderne porte sur la femme. Premier film de sa réalisatrice, Revenge met en scène une lolita ultra glamour face à trois riches hommes d’affaire. Aguicheuse, sexuelle et sexualisée, la jeune femme va subir la violence des businessmen à cause de tout ce qui fait d’elle une femme aux yeux du système : accessoires roses et sexy, attitude féline, niaiseries et minauderies. Mais, malgré cette apparence assumée, elle va se révéler être une vraie stratège traquant avec minutie ses proies, et se débarrassant petit à petit de ses attributs féminins pour devenir un pisteur hors pair.
Ne croyez surtout pas que je hurle (Frank Beauvais, 2019)

En plus de l’épouvante, du fantastique et de la science-fiction, le « genre » catégorise également les films expérimentaux, bien difficilement catégorisables tant ils prennent des formes différentes et exploitent des sujets différents. C’est le cas ici de Ne Croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais. Hommage retentissant au cinéma, ce long métrage raconte au travers d’images empruntées à d’autres œuvres, l’exil du réalisateur retranché dans sa maison de campagne, suite à une rupture amoureuse. Les photogrammes et extraits de films défilent sur notre rétine au rythme d’une longue litanie mélancolique racontant les meubles, l’environnement, l’ennui et les tourments de Frank Beauvais. D’une beauté singulière, ce film montre toute la créativité dont peuvent faire preuve nos cinéastes, et toute l’ingéniosité mise au service de leur art pour exprimer, dans ce cas précis, une histoire personnelle, banale, qui devient en une heure et seize minutes une odyssée incroyable et complexe.
Lux Aeterna (Gaspar Noé, 2020)

Autre film expérimental d’un réalisateur qu’on ne présente plus tant il a fait parler de lui avec Irréversible, Seul contre tous, ou Climax, Lux Aeterna se distingue dans la filmographie de Gaspar Noé par son caractère profondément engagé et vindicatif. Ce moyen métrage de cinquante et une minutes se situe sur le plateau d’un tournage dirigé par Béatrice Dalle et avec pour actrice principale Charlotte Gainsbourg. Les deux femmes, bien connues des salles françaises, vont peu à peu nous exposer les dessous sales de la production cinématographique. Malmenées, insultées, et objéifiées, c’est ainsi que sont présentées les femmes qui font le cinéma en France. Gaspar Noé nous lance un cri d’alerte et appelle à la vengeance pour que les femmes retrouvent leur place légitime sur les plateaux, pour que celles-ci soient respectées et entendues.
La Nuée (Just Philippot, 2020)

La Nuée est le premier long métrage de Just Philippot, tourné en Auvergne et financé par Auvergne-Rhône-Alpes-Cinéma. Ce film « bien de chez nous » devait être, contre toute attente, catégorisé dans la grande famille du cinéma de genre. Mais par on ne sait quel miracle il y a échappé et s’est retrouvé avec la qualification de « drame écologique ». Et ce label est tout à son honneur tant l’œuvre dénonce les conséquences d’une production industrielle dangereuse et disproportionnée. Par le biais d’une simple histoire de sauterelles, Just Philippot nous révèle toute l’horreur d’un élevage intensif et les répercussions désastreuses que cela peut avoir sur un individu, sa famille, les paysans qui l’entourent, et tout le système d’alimentation d’un pays. On retrouve ici des codes propres à Cronenberg et à tous les autres réalisateurs issus du body horror, sans que tout cela ne devienne outrancier, et cet équilibre entre drame et épouvante rend le film particulièrement accessible pour les novices et les frileux du genre. Une belle porte d’entrée vers l’autre cinéma !
Teddy (Ludovic ET Zoran Boukherma, 2021)

Les films de cette fin d’année souffrent de la situation sanitaire actuelle. C’est le cas de Teddy, que nous avons tout de même pu voir grâce aux Bookmakers. Il nous semble donc important de vous mettre l’eau à la bouche pour les sorties horrifiques à venir ! Teddy revisite le mythe du loup-garou et l’installe sous le signe de la puberté et de l’adolescence. Le corps change, les hormones s’agitent, et de nouvelles idées se mettent en place, le tout sans aucune capacité de contrôle. Bien qu’un peu maladroit par moments, ce long métrage nous propose un cocktail étrange à mi-chemin entre Quentin Dupieux, Bruno Dumont et Freddy les griffes de la nuit et nous prouve une fois de plus toute la créativité du cinéma de genre français.
Relation mère-enfant, véganisme, écologie, féminisme, confinement… L’autre cinéma français, celui que l’on nomme « de genre » est bien plus qu’un divertissement. C’est un cinéma d’une grande richesse, engagé, et profond, proposant de vraies réflexions sur le monde qui nous entoure. Ce cinéma est une manière originale et détournée de mettre les spectateurs face à la réalité des choses. On remarque que de plus en plus de réalisateurs s’essayent à l’horreur, et que les réalisatrices sont de plus en plus nombreuses ! Le paysage cinématographique français est en pleine effervescence, et nous ne pouvons que vous encourager vivement à tenter l’aventure du cinéma buissonnier, celui que l’on regardait enfant en se cachant les yeux, et celui que l’on regarde maintenant avec l’esprit critique grand ouvert.