top of page
  • Olivier

Le Zola, une histoire singulière

Dernière mise à jour : 9 nov. 2020

Plongé dans le noir, ou plutôt « privé de lumière » par ce nouveau confinement, le Zola fêtera bientôt ses 100 ans. L’occasion d’un petit retour sur son histoire et celle d’autres cinémas villeurbannais aujourd’hui disparus.


Le Family en 1932

Seul cinéma resté debout parmi les seize salles que comptait Villeurbanne dans les années 50, menacé de liquidation judiciaire à la fin des années 70, le Zola fait figure d’exception : 1er mono-écran de France avec 83 000 entrées en 2019 (contre 14 000 en 1980, 20 000 en 1983, 36 000 en 1990, 57 500 en 1992 !), il résiste toujours aujourd’hui dans une ville comptant près de 150 000 habitants !

L'écran originel du Family, peint sur le mur.

Tout le monde sait que le cinéma est né en 1895 à Lyon, mais il fallut pourtant attendre les années 1920 pour voir fleurir les salles de cinéma à Villeurbanne : Apollo, le Casino, le Dauphin, l’Écran, l’Eden, l’Étoile, le Fantasio, le Casino, le Foyer, l’Impérial, les Iris, le Kursaal, le Printania, le Régence, le Rio, le Savoy, les Variétés, le Family… Pas moins de 17 salles pour une commune qui compte alors moins de 60 000 habitants. A la fin des années vingt, 10% de la population villeurbannaise pouvait trouver place dans une salle de cinéma. Autant de ciné-paradisos chauffés au charbon et qui ne fonctionnaient que le jeudi pour les enfants et le week-end pour les adultes.



L’un d’entre eux est donc le Zola actuel. Installé sur l’ancien sentier de Lyon à Cusset (devenu en 1902 le cours Emile-Zola), le Family est ouvert à l’initiative d’un certain Marius Meunier-Rivière, charcutier et propriétaire d'une importante charcuterie du cours Émile-Zola. Dans la salle, comme c’est alors la coutume, le cinéma qui passe alors du muet au parlant, cohabite avec la comédie. Il arrivait que les associations sollicitent les cinémas pour projeter des films interdits par le secteur commercial. En 1929 par exemple, les amis de l’URSS firent donner au Casino, Le Krassine au pôle Nord, film sur le sauvetage d’un équipage italien en perdition par un navire soviétique, montrant ainsi la grandeur d’âme des marins communistes secourant un navire fasciste. Les inspecteurs de la mairie ne goûtèrent pas vraiment que la "Section lyonnaise de l'URSS" ait voulu de manière délibérée tromper le fisc en vendant 3 francs des billets marqués "invitation"... En décembre de la même année, 140 spectateurs venaient écouter des chanteurs russes au Family, spectacles plus qu'encouragés par l'ancien maire de Villeurbanne, Jules Grandclément (qui donna son nom à l'ancienne place centrale de la Ville à sa mort en 1935).


Le Fantasio fut le premier cinéma à s’équiper en parlant, en octobre 1930 avec Sous les toits de Paris de René Clair, le Casino lui succéda en s’équipant début 1931.

Les différences de confort et de tarifs entre les établissements conditionnent une distinction des publics (qui court jusqu’aux années 1950), et participent à la hiérarchisation des espaces urbains. Cela se traduit notamment par la circulation inégale des films dans l’agglomération lyonnaise, qui privilégie les salles de cinéma les plus florissantes. Les établissements des quartiers les plus populaires doivent souvent patienter de longs mois avant d’avoir accès aux grandes productions, et sont parfois contraints de programmer des films de second ordre.

Elie Périgot-Fouquier

Dans les années 1930, Elie Périgot-Fouquier (1891-1971), incarnant son personnage lyonnais de la mère Cottivet (« En descendant montez donc, vous verrez le petit comme il est grand »), faisait des représentations pendant l’entracte dans plusieurs salles villeurbannaises, dont le Family. Au Casino, c’est Sonia Towsky du Châtelet de Paris qui rivalisait avec Les Rosarios ou Ben Aga, le "fakir mystérieux". A L'Impérial, le public se déplace pour découvrir Max Reywils, "l'homme le plus étrange du siècle" (un prestidigitateur toulousain qui s'appelait en réalité Gaston Lagraulet)... Il s'en passait des choses à Villeurbanne, ça laisse rêveur !


Et le public en redemande, remplissant les salles régulièrement.


La Seconde Guerre mondiale allait malheureusement arriver, et, tout aussi malheureusement, Le Juif Süss allait prendre place sur l'écran du Family, comme sur celui des Variétés en 1941...


Le 14 septembre 1944, le jour où le Général de Gaulle vint à Villeurbanne, le Casino passait La bonne étoile (Jean Boyer, 1943) et le Family, le film américain Invitation au bonheur (Wesley Ruggles, 1939). La séance comportait alors un court métrage, un entracte, parfois un intermède musical et le film avec bien sûr, en prime, les actualités internationales. Les réclames sont alors peintes sur une toile qui protège l’écran… Les commissions de sécurité, au sortir du conflit, reprochent à l'exploitant du Family, qui sort alors Les Mutinés de l'Elseneur (Pierre Chenal, 1936) de rajouter des chaises dans la salle, ce qui était déjà interdit en 1944...


Dans les années 50, alors que naît à Lyon la revue Positif, Los Olvidados (Buñuel, 1950) et le moins connu Sans peur, sans pitié (O'Cangaceiro, Lima Baretto, 1953) - "le film qui révéla le cinéma brésilien au monde entier" - emportent un franc succès (précurseur de celui des Reflets du cinéma ibérique et latino-américain qui verraient le jour dans les années 80 ?). Mais celui qui "travailla" le plus, ce fut Le Petit monde de Don Camillo (Julien Duvivier, 1952) qui tourna de manière inhabituelle pendant 2 semaines au lieu d'1 seule (tradition maintenue en 2020 !).


En 1960, lors d’une projection prenant des allures d’événement à scandale : celle du film J’irai cracher sur vos tombes de Michel Gast (qui s'en sortira mieux en distribuant par exemple L'Homme qui venait d'ailleurs avec David Bowie, présenté au Ciné O'Clock en 2020), d’après le roman de Boris Vian - mort consterné en découvrant le film au Marbeuf dans le 8ème arrondissement de Paris, après s'être écrié "Ces gars-là sont américains comme mon cul !". On y voit une femme blanche, aux seins nus, embrasser sur la bouche un homme noir... Le maire de Lyon, Louis Pradel, interdit ce film à scandale, mais des salles villeurbannaises (le Casino, l’Iris et l’Eden) osent le présenter en première vision, à commencer par le Family (en "première vision", ce qui n'arrivait jamais !). Le journal du Théâtre de la Cité de Roger Planchon s'étonnera davantage que des Lyonnais eurent besoin de prendre le trolleybus (ou le bus 7) jusqu'à Villeurbanne pour découvrir ce film (il était encore plus rare à l'époque d'aller au-delà des Charpennes)...


A la même époque, Le Progrès découvre qu'un certain Paul Génard, chirurgien-dentiste de Villeurbanne, a constitué chez lui, rue Jean-Jaurès près de la place Grandclément, une collection extraordinaire, véritable musée du cinéma avant l'heure, constituée d'appareils anciens du cinéma (phénakistiscope de Joseph Plateau, le cinématographe n°1 des Frères Lumière (qui projeta les dix premiers films le 28 décembre 1895, au Grand Café à Paris, devant les 33 spectateurs de la première séance publique payante), un kinétoscope Edison de 1894, un cinématographe Joly-Normandin de 1896...) jusqu'aux tout premiers films de l'histoire du cinéma, dont la quasi-intégralité des films des Frères Lumière... C'est en 2003 que cette collection redevint lyonnaise en étant confiée à l'Institut Lumière. [entretien passionnant à lire ici]

Avec l’apparition de la télévision, la démocratisation de la voiture puis les magnétoscopes, le cinéma se met à péricliter. Le Family est revendu en août 1962 à des propriétaires qui le cèderont à leur tour en 1970. Le Casino, sur le déclin comme le cinéma dans sa grande majorité à Villeurbanne, passe l'évitable 077, intrigue à Lisbonne (Federico Aicardi, Tulio Demicheli, 1965) - en scope et en couleurs - et des films de karaté avant de fermer le 20 novembre 1966. Le bâtiment devint un garage avant d’être démoli en 2009.


Pour le Family, des 550 places serrées du début, la contenance de la salle est ramenée à 350 sièges en 1970. En 1971, quelques semaines près la diffusion d'Hibernatus (Édouard Molinaro), le Family devient le Zola et se pare de sièges choclat et mandarine ! Racheté un temps par UGC, mais pas assez profitable, le Family va inexorablement lui aussi fermer ses portes. Diverses possibilités s’offrent alors : fera-t-on du bâtiment à la façade art-déco un magasin de meubles, une salle polyvalente dotée d’un café, un restaurant, une librairie ou… 3 petites salles de projection ?




Jusqu’à ce que la mairie tranche et décide en 1979 d’apporter son aide, de racheter le fonds et de confier l’exploitation de la salle et de ses 241 places à une nouvelle association « Pour le cinéma ». Cette dernière est toujours en place et fête cette année ses 40 ans !


Quant au Family, il fut rebaptisé "Zola" (il fut un temps question de l'appeler selon la volonté du maire Charles Hernu le "République"). La réouverture eut lieu le 8 octobre 1980 avec la présentation de Corps à cœur de Paul Vecchiali, puis... L'Empire contre-attaque d'Irvin Kershner et Buffet froid de Bertrand Blier.


Le Zola en 1989

Principales sources : "Cinépolis" (Philippe Videlier, 2003) / Archives de l'Association Pour le Cinéma

1 078 vues1 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page