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  • Clara

Mais ne nous délivrez pas du mal

Dernière mise à jour : 6 janv. 2021

Joël Séria, 1971


Le 3 décembre 2017, le monde de la chrétienté est ébranlé par une nouvelle sans précédent. La très sacrée prière du Notre Père connaît une nouvelle traduction et “ne nous soumets pas à la tentation” se mue en “ne nous laisse pas entrer en tentation”. Le sens entier du vers est modifié et redonne à l’Homme avec un grand H son libre arbitre et sa totale responsabilité face à ses actes. En 1971, Joël Séria, lui, pousse le vice plus loin et remet l’Homme à sa place d’être perfide et altéré en lui faisant clamer haut et fort Mais ne nous délivrez pas du mal comme une dénégation d’un Dieu tout puissant et bienveillant et l’acceptation d’un sort, ici bas sur terre, peu enviable.

Cette œuvre française tristement méconnue s’inspire d’un fait divers de 1954 prenant place en Nouvelle-Zélande. On y découvre le massacre de la petite Honora Rieper, sauvagement tuée par sa sœur, Pauline Parker, et la meilleure amie de celle-ci, Juliet Hulme. Tandis que d’un côté Peter Jackson s’empare à bras le corps de cette histoire macabre et la suit scrupuleusement dans Créatures célestes, Joël Séria en fait quelque chose de plus personnel en y ajoutant une odeur de sainteté et de blasphème.


Ici, nous suivons les péripéties de Anne et Lore, deux adolescentes pensionnaires d’un établissement pour filles qui profitent de leurs vacances d’été pour expérimenter la malveillance. Vouant un culte à Satan, elles cherchent par tous les moyens à semer le mal et la désolation autour d’elles, et n’hésitent pas à user de leurs charmes pubères pour prendre au piège les plus sots.


Ces quelques lignes peuvent dépeindre un film sordide, vulgaire et tapageur, mais il n’en n’est rien. Mais ne nous délivrez pas du mal représente à la fois les confessions de son réalisateur qui, enfant, est ballotté de pensionnats en couvents, et à la fois une critique forte du clergé, de la bourgeoisie et de tout système hiérarchique de manière générale à commencer par celui présent dans les écoles. Anne et Lore se rebellent contre toutes ces choses et inventent leur propre façon d’expérimenter le monde au travers de leurs exactions. Elles se libèrent des carcans qu’on leur impose et découvrent le pouvoir qu’elles peuvent tirer de cette émancipation nouvelle.

Nos deux anti-héroïnes incarnent également la souveraineté du féminin. Elles forment à elles deux une sororité omnipotente qu’elles expriment au travers de jeux d’habillage et de séduction. Anne devant son miroir se dénude et se farde, Lore use de sa suavité adolescente sur un fermier idiot. Et, ensemble, elles réussissent à mener à la baguette tout un microcosme qui gravite autour d’elles tel un orbite envoûté.


Interdit pendant huit mois en France lors de sa sortie, et interdit d’exportation, Mais ne nous délivrez pas du mal a connu la censure et les déchaînements haineux de la presse. Il est de notre devoir, aujourd’hui, de redonner ses lettres de noblesse à ce film qui mérite une réévaluation à juste titre.

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