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  • Clara

Maîtresse, de Barbet Schroeder

On rencontre parfois, dans notre cinéphilie, des films qui nous marquent au fer rouge. Ils nous accidentent, s’emparent de nous, nous malmènent et nous hantent le reste de notre vie. Tel est le cas de Maîtresse où Bulle Ogier dans le rôle d’Ariane devient notre bourreau, et où nous prenons la place docile de Gérard Depardieu interprétant Olivier.



Ici, nous suivons les déboires d’Olivier fraîchement arrivé sur la capitale et à la recherche de petits boulots dérisoires. C’est ainsi qu’il se retrouve, aux côtés d’un ami, à faire du porte-à-porte pour vendre des livres d’art de chez Flammarion. Quelle n’est pas leur surprise lorsque les deux compères tombent nez-à-nez avec une irrésistible créature qui rencontre quelques problèmes de plomberie liés à sa baignoire transparente, remplie de serpents et de poissons rouges… Ce début de film pornographique classique, avec le schéma typique dominant/dominé est vite renversé alors que, tentant de cambrioler l’appartement du dessous, Olivier et son ami retrouvent la jeune femme fardée, vêtue, et armée de menottes. S'ensuit une histoire d’amour passionnelle entre un Gérard Depardieu juvénile et une Bulle Ogier au sommet de sa splendeur.


Après deux longs métrages dans l’univers nébuleux du flower power, et un documentaire sur un président ougandais, Barbet Schroeder aborde en 1975, dans une fiction quasi documentaire, le milieu très discret du sadomasochisme, du bondage, et plus particulièrement des dominas. Bien que plusieurs films sur le masochisme aient vu le jour en France avant Maîtresse (Diaboliquement vôtre de Duvivier, Juste avant la nuit de Chabrol, Liza de Marco Ferreri, ou encore Belle de Jour de Buñuel …), rares ont été ceux abordant avec autant de justesse le sujet de la domination au féminin. Quand le sadisme est à peine assumé chez la gente masculine (bien que cela flatte parfois une virilité mal placée), le masochisme quant à lui est complètement exclu des conversations entre ces messieurs. Il faut faire preuve d’une imagination débordante pour s’immiscer dans ces sphères excitées principalement par la fantaisie et la mise en scène, et c’est ce que réussit à faire avec brio Barbet Schroeder en dépassant ces non-dits.



Amoureux fou de son actrice, le réalisateur lui laisse une place de choix et un espace de jeu immense dans lequel elle évolue sans contrainte. Tout est fait pour la mettre en lumière et l’élever : des scènes de toilette où elle se prépare à l’exercice de son métier, aux scènes de domination pure, Bulle Ogier rayonne. Habillée par Karl Lagerfeld à la direction de Chloé dans des robes scintillantes, des liseuses de soie violette et des attributs de cuir et de latex, le personnage d’Ariane montre la femme dans toute sa splendeur, affranchie des codes étriqués imposés par une société phallocentrée. Au-delà de cette question de la domination féminine, Barbet Schroeder brise également le tabou de la prostitution. Gérard Depardieu, l’amant, observe les faits et gestes de sa bien-aimée sans jugement. A aucun moment le métier de prostituée n’est questionné, il est simplement accepté. Ariane qualifie d’ailleurs ses clients d’amis, et estime que sa profession est une exploration de sa propre psyché et de celle des autres. On accède alors ici à une pratique presque plus thérapeutique qu’éjaculatoire. C’est pourquoi les maîtresses de donjon de l’époque ont toutes succombé au charme de cette œuvre juste et clairvoyante sur leur milieu opaque pour les non-initiés.



Maîtresse est probablement l’un des films français les plus beaux et les plus vrais sur ce thème. Alternant scènes de vie futiles et banales et scènes de torture sexuelle, il s’empare avec bienveillance d’un milieu trop souvent lapidé et décrié pour ses pratiques hors-normes. Gérard Depardieu enchaînera avec La Dernière femme de Ferreri où il finira par s’émasculer avec un couteau de cuisine … Peut être un moyen pour lui de clore définitivement le chapitre de Maîtresse ? Bulle Ogier, quant à elle, passera au Sérail de Eduardo de Gregorio dans lequel elle portera encore le prénom d’Ariane… Coïncidence ? Probablement ! Mais le fait est que ce film hante sans doute son réalisateur, ses acteurs principaux, et les spectateurs qui ont eu la curiosité d’aller jusqu’au bout de l’aventure.

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